Une fois n'est pas coutume: le temps des vacances signifie pour moi le temps des découvertes. Je n'ai pas fait plus de 50 kms en dehors de Québec depuis mon retour de Cuba. Mais que faire, pour cette semaine de relâche de début mars? La majeure partie des étudiants restent, pour étudier. Les étudiants visiteurs décident, eux, d'aller à Cuba, aux Bahamas, en Floride, trouver le soleil et la flemme d'une chaise longue. Sans compter les habituels départs pour New York, ville bonne en tout temps et en toute saison. De mes connaissances, personne, autre que moi, ne part à Boston. Je me retrouve seul, confronté à la langue américaine (j'y reviendrai tantôt). De Montréal à Boston, 7 heures de bus, en passant par la frontière américaine, l'endroit que je déteste le plus au monde, avant le dentiste (si si!): là où vous passez une demie-heure à vous justifier sur des choses qu'on ne devrait pas justifier. Arrivée à Boston: 7 heures du matin, le vendredi 4 Mars. Le soleil se lève et entoure les grattes-ciel du downtown d'un halo rougeâtre. La découverte commence.
Je loge pendant tout mon séjour chez Khaled, rencontré via CouchSurfing. Khaled a 27 ans, il est jordanien d'origine, et termine son master en design graphique. L'an prochain, il ne sait pas où il sera. Lui aussi cherche à s'ouvrir le maximum de portes, sans aucune attente précise. Ecole de cinéma, thèse, de nombreuses possibilités, à travers le monde. Nous parlons beaucoup, de cinéma surtout, mais aussi de sa conception des choses, de la Jordanie, des Etats-Unis. Il apprend à parler français, et ose quelques phrases, quelques mots. La plupart du temps, nos dialogues sont en anglais, et j'arrive à tout comprendre! Il loge près de la Boston University, arrêt de metro Kenmore, proche du centre donc...
Boston, c'est une des premières villes américaines. Faisant partie de ce qu'on appelle la Nouvelle Angleterre, c'est ici que commencèrent les insurrections au XVIIIème siècle, emportées par des citoyens ne réclamant qu'une chose: l'indépendance. Ce rappel historique est essentiel. Car en vérité, tout le patrimoine culturel ancien de Boston repose sur cette liberté recherchée, il y a quelques siècles, par les premiers habitants bostoniens. Au centre-ville, un Liberty Trail ("le sentier de la Liberté"), symbolisé par un tracé rouge à travers les rues, emmène les visiteurs à la découverte de ce passé révolutionnaire et avide de liberté.C'est l'attraction principale de Boston, et chaque visiteur se doit d'emprunter ce sentier, qui passe devant les plus grands monuments de la ville, pour se terminer de l'autre côté de Charles River, à Bunker Hill, l'un des plus grands champs de bataille de la guerre d'indépendance américaine.
Ce qui est étonnant à Boston, c'est l'aspect européen de la ville. Contrairement à New York et autres autres métropoles étatsuniennes (que je ne connais pas encore, ça ne saurait tarder), il y a ici un urbanisme qui n'est pas sans rappeler Montréal, en moins fouillis. Mais surtout des villes françaises comme Lyon et surtout Paris, par ses rues, la parfaite harmonie entre héritage culturel par les monuments historiques et le dynamisme de la ville actuelle. Il y a des grattes-ciel, ici, mais le charme d'antan n'a pas disparu. Les rues ne sont pas immenses, permettant ainsi un trafic d'automobiles assez fort; au contraire, les trottoirs et les espaces pour piétons et cyclistes foisonnent. Dans le centre historique, mais aussi tout autour. Cela me permet de marcher sans être dérangé par les voitures, le trafic urbain si énergique et en même temps fatiguant de New York.
Car finalement, j'ai beaucoup marché. Le premier jour, je reste beaucoup dans le centre historique, le long du Liberty Trail, et de l'autre côté de la Charles River. Le reste de mon voyage, je le passe à arpenter les artères bostoniennes, de Back Bay à South End. Utilisant très rarement le métro, qui soit dit en passant est agréable par son côté vintage, muni de mon fidèle Ipod et de mon appareil photo, j'avance, en me laissant guider à l'aveuglette. Par deux reprises, je n'ai aucune idée de l'endroit où je me trouve. La deuxième fois, je réalise que je suis arrivé dans Chinatown, en remarquant le nombre de passants aux yeux bridés promenant leurs enfants braillards. La meilleure façon de découvrir une ville, sachant qu'on y passe quelques jours, c'est surement ça. Prendre le poûls des rues, de la foule, en ne sachant pas exactement où l'on se trouve, si ce n'est que c'est Boston.
Mes points de repères? Les Starbuck's. Je reste fidèle à ma gourmandise, et mon addiction pour le café moka va finalement trouver ses limites; à la fin du séjour, je suis gavé, et ne peux plus en boire. Pour un temps, je suppose... Je prends de longues pauses café, afin de sortir mon ordinateur, prendre la température du monde européen, de mes amis. J'en profite pour décrire rapidement la ville que je découvre et qu'immédiatement je me suis mis à aimer. Et puis, même si je suis en relâche, il faut travailler. Ecrire le drame pour l'ENSATT. Lire les romans de Francine Noël. Envoyer des courriels à mon directeur de mémoire. J'aurais très bien pu rester à Québec, pour faire ça. La seule différence est que ce n'est pas une place que je connais. Un Starbuck's, qu'il soit à Lyon ou à New York, est le même. Moins cher aux Etats-Unis, néanmoins! Mais je ne connais pas ceux de Boston, je n'y vais pas tous les jours. Et mes habitudes québécoises se trouvent bousculées, par ce prix qui n'est pas le même, par la langue utilisée pour prendre ma commande, par ces dollars américains auxquels je ne suis pas habitué (souvent, je tends ma main pleine de monnaie en disant "take what you need!"). Et puis, tous ces gens qui viennent déguster leur chocolat chaud, leur Frappucino. Leurs langages, leurs préoccupations. Il y a du nouveau. Je voulais changer d'air, et du début à la fin, c'est ce qui se fera.
Marcher, café, marcher, café. Un programme chargé, en soi, et laissant libre cours aux possibilités. J'avance, sur Boylston Street, et découvre qu'en fait, je peux monter, en payant quelques dollars, en haut du Prudential Center, pour admirer Boston sur 360°; ce que je fais, évidemment! Je vois l'affiche d'une exposition sur les arts américains au XVIIIème siècle, se déroulant au National Museum of Fine Arts; je m'y rends, une matinée, et y découvre une splendide collection (un musée exceptionnel, vraiment!). Je prends les flyers qu'on me donne, j'étudie les possibilités, en fonction de ce qui me plait, du temps qu'il m'est imparti, de la météo. C'est ce genre de voyage qui me plait. Moi, tout seul, dans une ville de 4 millions d'habitants, gérant mon temps comme je le souhaite. Mes seules contraintes? Retrouver Khaled, le soir, chez lui, afin de se coordonner. Le reste, c'est du temps libre, du flanâge, du magasinage. J'achète un jeans, chez Urban Outfitters (environ 15 euros, un Levis Strauss!), et un sweat shirt à Harvard. Soit dit en passant, si Harvard est la meilleure université au monde, le campus n'en reste pas moins ordinaire!
J'ai parlé de l'anglais. Ah, qu'il est loin, le temps où je suivais attentivement un cours d'anglais, apprenant à conjuguer parfaitement au passé un verbe irrégulier! Mes seuls cours maintenant, je les trouve dans les séries américaines, que je regarde (en sous titrés français, évidemment: faut pas pousser!). Néanmoins, je me débrouille, je tente de me faire comprendre, et surtout, d'engager une discussion qui aille plus loin que "yeah yeah I see": ce que nous faisons tous, quand nous connaissons quelques mots. Cela me permet de parler plus longuement avec Khaled, plus profondément aussi, sans nous limiter à des considérations basiques et des questions du style "what are you watching?". Et pourtant, plusieurs démêlés avec la langue de Henry James. Le plus drôle concerne ma recherche d'un bureau de poste. Post office. Lui, j'en ai bavé. Le problème, il n'est pas de moi: je sais comment m'exprimer pour cette requête simple. L'ennui, c'est A QUI je pose la question. Simulation:
1ère demande: ouvrier chinois :
Adrien: Hi, can you help me please? Do you know where I could fine a post office?
Le chinois: yeaaaah you have to go 团员 on the right 风华正茂 where you 共产主义青团 !
Adrien:..........OK, bye!!!!!!
Adrien 0 - le chinois 1
2ème demande: gardien afro-américain:
Adrien: toujours la même chose, sourire en plus grand.
Le gardien:oh you have to go on your roooght becooooooose you can't go on this weeeeay, then you took the fuuuuuurst...... (ça continue sur une minute)
Adrien: .... I will figure out, thanks!
Adrien 0 - le gardien 1
3ème demande: la pire: un vendeur de souvenirs pakistanais (théoriquement, ayant l'habitude de s'adresser aux touristes!)
Adrien: la même...
Le vendeur: ..... Il m'est impossible de retranscrire, de par l'accent et les mots.
Adrien 0 - le vendeur 2 (lui, il fait double!)
Je me mets finalement à maudire ce melting pot américain qui veut que tous ceux à qui je demande mon chemin ne sont pas des américains, au bon vieux accent, mais des immigrés. Jusqu'à ce que, ô joie, ô allegresse, une Irlandaise rousse répondant au nom de Lucy Machalan écrit sur sa blouse de travail (je me hâte de l'écrire après cela, tellement je trouve le nom charmant!) m'indique où acheter mes précieux timbres pour l'étranger. En somme, je m'exprime bien, mais ne comprends pas les étrangers parlant l'anglais (les pakistanais spécialement).
Ma dernière journée, je la passe à Salem, à quelques kilomètres au nord de Boston, donnant sur l'Atlantique. Salem, ses sorcières, et... C'est bien la seule chose à laquelle je pense, en regardant le nom de Salem, inscrit sur le flyer pris auparavant à l'office de tourisme de Boston. Et finalement, c'est bien la seule chose qu'il y a, à tel point que la ville, comme emblème, a poser sur un fond jaune une sorcière sur son balai. Néanmoins, cela me permet de m'évader de la grande ville, pour quelques heures, par un temps radieux. Par le train, je rejoins la petite bourgade, avec ses églises, ses Dunkin Donuts (une ville américaine sans DD n'est pas une vraie ville américaine!) et ses divers endroits rappelant l'année 1692. C'est à cette époque que la ville connut une véritable chasse aux sorcières, d'où le mythe de la ville à présent. Ce sont des statues, ce sont des maisons ayant appartenu à telle ou telle personne impliquée dans les procès, qui sont mises en avant par les guides touristiques, et qu'on retrouve grâce à un sentier rouge mis en place comme à Boston. Je fais le musée de la Sorcière, à ne pas manquer quand on se trouve à Salem, et qui raconte, grâce à des tableaux de statues de cire, les principaux événements de 1692. Au beau milieu de l'après-midi, après m'être gorgé de sorcellerie et autres, je me hasarde sur la grève qui s'étend, dans la petite baie, et regarde l'océan, au loin. Quelques jours en terres étatsuniennes s'achèvent, il fait toujours beau. Frais mais beau.
Je repars à Montréal le mardi 8 au soir. Une nouvelle nuit dans le bus, un nouveau passage à la frontière, avec la sosie de Julie Andrews en guise de douanière. Montréal, un lift pour Québec, et me voici, encore fatigué de ma nuit blanche dans le bus. Boston? J'irai probablement y passer quelques autres journées, dans quelques années. Une coupure, un changement inévitable, afin de souffler et voir autre chose. Et un bref rappel, aussi: l'Europe n'est pas si loin...
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