Une journée de glande. Après un premier cours mi effrayant-mi drôle la veille, c'est un mardi tranquille qui commence. Pas de cours, pas de phrase rabâchée par un professeur, le sourire aux lèvres: "avant d'être des étudiants, vous êtes à présent des apprentis chercheurs." Panique! Aujourd'hui, donc, journée post-traumatisme de la rentrée. La colocation est enfin remplie, Maxime puis Stéphane sont arrivés successivement dimanche et hier soir. Le premier est en certificat de journalisme, le deuxième est en génie civil. Pas d'attente donc, en ce dernier jour d'Août, où tout le monde a chaud, boit des litres d'eau, et se balade torse nu sur les Plaines d'Abraham. Une belle journée, en somme, pour prendre un livre et le MP3, et s'allonger dans l'herbe verte et non salie desdites Plaines. Je prends aussi mon petit carnet "à tout faire", histoire de noter ce qui me viendrait en premier dans la tête. Et Regina Spektor dans les oreilles, sous 34 degrés au moins, je me pose pour la première fois depuis mon arrivée.
Après quelques pages de Zweig et de son Ivresse de la Métamorphose, je m'étends gracieusement dans l'herbe et scrute le ciel bleu. Depuis 10 jours, j'étais sans cesse excité: mon arrivée, la maison, la rentrée, le choix des cours, les multiples rencontres et découvertes. Nous venons maintenant de prendre le rythme de l'année universitaire qui commence. Dans ma tête, je repense à ce que l'enseignante disait, avec ces mots quasi terrifiants: recherche, maitrise, mémoire. Mémoire. C'est vrai, je m'en souviens maintenant, je suis là pour ça d'abord. Mais avant d'y penser, je dois répondre, en deux pages, à la question idiote a priori: "pourquoi avez-vous choisi de continuer en maitrise d'études littéraires?"
Et quel vide. Que répondre. Que dire à cette brave dame, qui doit lire les mêmes choses chaque année. Mais je ne cherche à vrai dire pas l'originalité de l'écrit. Avant tout, je tente de me focaliser surune réponse qui sonnerait vrai en moi. Une maitrise, pour faire de la recherche? Aller en doctorat? Pourquoi faire des lettres? Vertiges de l'inertie et des choix qui se pressent, de jour en jour. Au final, toujours la même question: pourquoi je suis là?
C'est une émotion plus marquée aujourd'hui. Je prends réellement conscience que je suis à Québec, l'excitation est passée. Here we are. Tout seul, sur ces Plaines d'Abraham où se promenent de jolies familles nombreuses et des écureuils gros comme des chats. Seul, à regarder le ciel et le Concorde, qui se dresse prétentieusement dans l'air. Regina s'est tue, et j'ai droit au piano et aux violons de Pride & Prejudice et Atonement, de quoi "bader vrai". Je ne suis pas en manque de la France ni de mes proches, mais une absence se fait sentir. Je suis entouré à Québec, mais il n'y a pas encore d'épaule assez digne de confiance pour s'épancher. Toujours ces vertiges, à l'idée de réaliser soudain à quel point on a été loin ce coup-ci. Je ne pleure pas, je ne me plains pas, mais une convulsion m'agite. Il faudrait que je retourne à la question de ma présence en maitrise de lettres, mais je préfère regarder le Saint Laurent, qui coule une bonne centaine de mètres plus bas. A droite, si je prolongeais quelques heures en voiture, il y aurait Montréal... Là, je me rends compte que mon article devient vraiment vraiment badant, surtout si j'embraye sur Montréal!
Ce n'est pas un mauvais jour. C'est juste cette période creuse qui suit toujours une autre période, elle très remplie et active. Demain, nouveau cours, de nouveaux mots, de nouvelles consignes. Il est 23h49, et je suis trempé par la transpiration, par cette chaude nuit d'été. Il faut finir, et je laisse Regina Spektor terminer avec la chanson de la journée, "Us" ("Nous").