Me voilà rendu à Québec. Il y a trois jours, je partai pour Montréal. Montréal, une ville qui fait rêver. On pense aux grattes-ciel, au Mont Royal, ou, comme moi, à ces personnages hauts en couleurs que Michel Tremblay aime dépeindre depuis plus de cinquante ans. Il est présentement 22h25. Je viens à peine d'arriver, je n'ai rien mangé. Je veux juste écrire cet article. Article qui sera long, très long, ponctué de nombreuses photos je pense. C'est que Montréal m'a fasciné. J'ai vécu trois jours la ville au plus profond de moi-même, en passant par les sentiments les plus contradictoires, et me questionnant sans cesse ainsi : qu'est-ce que Montréal, au fond?
Devant moi, le petit cahier de notes que j'ai utilisé à l'excès ces quelques jours. Il fallait écrire. Ecrire sur ce que je faisais, ce que je voyais, les petites choses auxquelles j'assistais comme spectateur silencieux. J'avais besoin d'écrire, parce que l'émotion de Montréal était trop forte et trop intense pour que je puisse contenir tout ça. Je ne transcrirai pas tout, dans cet article. Il est des choses qui doivent rester sous silence, comme un secret entre les pages noircies et moi-même.
Tout commence Vendredi matin. J'ai rendez-vous à 9 heures à la station service Shell du boulevard Laurier, à l'autre bout de la ville, avec Darquise, une femme de 50 ans qui doit m'emmener à Montréal. Mais d'où qu'elle vient, Darquise? Un seul mot: AlloStop. Ici, le covoiturage est tellement fréquent que des sociétés spécialisées ont vu le jour. On a une carte à l'année (gratuite pour les étudiants), et quand nous voulons aller dans une grande ville, nous contactons AlloStop. Les gentilles demoiselles nous mettent en relation avec un conducteur, et nous en avons pour 19 dollars canadiens l'aller pour Montréal (dont 6 CA$ reversés à l'agence). Ce qui nous fait 38 CA$ pour un aller retour Québec-Montréal. Très avantageux donc, économique, écolo, et social: nous sommes trois ce vendredi-là dans la voiture de Darquise, qui chantonne doucement sur le CD de U2. Dommage pour mes oreilles, moi qui déteste le groupe de Bono!!! Il pleut torrent, et ce jusqu'à Drummondville. Après, nous pouvons discerner le Mont St Hilaire.
Arrivée à midi, avec un arrêt sur l'autoroute d'une bonne demie-heure; je prends mon pass pour le métro, et ce pour trois jours. Une précision s'impose: je suis seul. Les filles m'ayant (lâchement) abandonné, je m'apprête à parcourir les rues montréalaises accompagné seulement du fameux et ô combien utile Routard, de mon Nikon que je ne lache absolument pas, et de mon Ipod. Pour vous représenter encore plus l'image, le petit Adrien a un sac à dos noir et son sac de marin rempli (duvet, vêtements de change, veste...); l'écharpe soigneusement accrochée autour du cou, et les écouteurs propulsant à plein régime de la bonne musique, je me mets en quête de lieux étonnants. Je laisse mes pieds avancer un peu au hasard; mes pieds d'ailleurs sont souvent observés. Il faut croire que les Converse rouges, pour un garçon, cela doit être exotique.
Je marche le long de l'Avenue du Mont-Royal. Je marche un bon moment d'ailleurs avant d'arriver à la station Berri-Uqàm. Je jette un oeil à l'Université du Québec A Montréal, où j'aurais pu être, si je l'avais voulu. Je passe, et tombe sur la rue Sainte Catherine, la "Catherine" pour les Montréalais; l'artère principale, la rue ultra touristique et représentative du dynamisme de la ville. Je tourne à gauche, et me retrouve dans le Village, le quartier gai (ici on préfère l'adjectif de la joie plus que l'appellation anglaise). Les Rainbow-flies flottent un peu partout, on voit des bars et des cabarets de travestis, des boites de strip-tease intégral (si si!), mais ce n'est pas ce qui me surprend le plus. Tous les dix mètres, une plaque commémorative pour les malades du sida, pour se souvenir de la lutte constante. Première grosse émotion; et même si je m'amuse à photographier mes souliers rouges avec le contraste du gravier bleu d'un petit square, la cause qui me motive depuis maintenant deux ans me rattrape. Je prends des clichés des murs peints et des statues, me promettant de les envoyer à mes camarades de AIDES.
Après avoir mangé chez Tim Horton's (une chaine de restauration rapide) et essuyé trois demandes en mariage d'hommes plus ou moins ragoutants, je saute dans le métro pour me rendre au Parc Jean Drapeau, sur l'île Ste Hélène. C'est ici que la fameuse et mondialement connue Exposition Universelle de Montréal (1967) se tint; il reste encore des traces de l'Expo, comme la présence du pavillon des Etats-Unis, réaménagé en Biosphère: c'est la fameuse boule ronde. Je m'aventure sur l'île, en fais le tour; j'y trouve un point de vue donnant sur le Saint Laurent et Montréal, ses grattes-ciel et les églises qui parsèment la ville. Au passage, remarquez les jolies inscriptions qu'on trouve de-ci de-là sur les sculptures contemporaines!
Après deux heures de marche, encore le métro, qui me ramène cette fois en plein centre-ville, Square Victoria. C'est le quartier des affaires, des buildings qui culminent haut pour certains, alors que dans les profondeurs de ces mêmes immeubles existent des galeries souterraines énormes, où circulent des milliers d'habitants de Montréal chaque jour. Parfois, je rencontre, au gré d'une rue, une église, comme la St Georg's Church, encastrée entre deux immeubles. A noter qu'on dénombre plus de 250 églises dans Montréal, ce qui s'explique facilement: protestants et catholiques se partagent le terrain. Quelques clichés.
Le Routard est rangé dans mon sac à dos. Je m'arrête parfois pour faire des photos, mais je cherche à avancer à l'aveuglette. Je reste un moment dans un Starbuck Coffee de la Catherine: malgré tout, je dois travailler A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie d'Hervé Guibert. Mais mon esprit est ailleurs; il traverse les rues bourdonnantes de Montréal. Je reprends ma route, et me retrouve par le plus grand des hasards dans le Quartier Saint Laurent, portion de la ville grandement habitée par des immigrés de confession musulmane. Je rentre dans un magasin de vêtements et parle une bonne demie-heure avec une mère indienne originaire de Bangalore. Nous échangeons nos souvenirs de l'Inde, et elle me parle avec émerveillement de ce beau pays qu'est le Canada, dans un anglais ô combien malmené. Je repars avec le sourire aux lèvres, pour me rendre compte que je me suis perdu. Et ça, ce que j'aime! Je ne me perds que rarement, ayant un sens de l'orientation assez développé. Je ne sais pas où je suis, n'ai aucun repère, et avance dans un sens qui ne me dit absolument rien. Où vais-je arriver? Je ne sais pas, et j'aime ce vide qui m'habite. Juste profiter du quartier, qui en soi n'a rien d'intéressant; les rues sont désertes, et j'avance libre de toute contrainte géographique. Finalement, je débarque dans le Quartier latin, coin sympa et assez mouvementé le soir. J'aperçois un théâtre où Ginette Reno se produit durant la fin de semaine. Pensée pour ma grand-mère, qui voudrait que je lui ramène une chanson de cette chanteuse... Au final, il est 19h30, et je me rends sur l'avenue Henri-Julien, prêt du Mont Royal, où Charles, un monsieur de 48 ans, m'héberge gracieusement pour cette nuit.
Après une nuit réparatrice, et un accueil chaleureux, je reprends ma route, en ce samedi 2 Octobre. Je passe à côté de la maison de Michel Tremblay (ah....) et décide de continuer mon exploration du monde romanesque de ce dernier en passant un moment au Parc Lafontaine. Des écureuils absolument pas farouches s'approchent de moi, je m'amuse à les prendre en photo. Les arbres sont magnifiques, la lumière du matin les éclaire avec simplicité. Marche silencieuse.
12h, Station de métro Sherbrooke. J'ai rendez-vous avec Sébastien, que je n'ai pas revu depuis bien quatre mois. Sébastien est maintenant à l'Université de Montréal en maîtrise d'orthophonie. Nous passons le reste de la journée ensemble, ainsi que la soirée et la nuit, il m'héberge chez lui, dans le Quartier latin. Mais avant tout, nous allons au marché Jean Talon en prendre plein les mirettes de couleurs et de senteurs. Petite crispation au coeur, quand nous entrons dans une fromagerie et examinons le prix des fromages: 32 CA$ le prix d'un reblochon, cela fait mal! Nous mangeons au marché: Seb une moussaka, moi une tourtière, avec un bouillon de légumes excellent.
Seb m'abandonne deux heures. J'en profite pour travailler encore sur Guibert et son écriture du Sida. J'écris aussi tout ce qui s'est passé en 24 heures. Deux pages plus tard, et un Venti Mokka terminé, je rejoins mon ami au Métro Côte des Neiges. Défi de l'après-midi: le Mont-Royal. Tout d'abord, nous montons à l'Oratoire St Joseph, église construite sur la fin du XIXème siècle, qu'on associe souvent au duomo de Florence, notamment pour sa coupole. Mais derrière l'architecture classique de l'extérieur, l'intérieur, lui, expérimente une construction plus... géomètrique. Promenade dans l'edifice, silence qui se fait, apaisant.
Passé l'Oratoire, nous prenons la Côte des Neiges, qui nous emmène devant le Cimetière du même nom, le plus grand cimetière catholique nord-américain. J'ai dans l'intention de trouver la tombe d'Emile Nelligan, grand poète québécois de la fin du XIXème siècle. A cette occasion, j'ai même amené avec moi son recueil de poèmes, pour lire devant sa pierre quelques uns de ses vers. Sébastien est moins emballé, et finalement, nous ne trouverons pas la tombe. Nous marchons néanmoins dans le cimetière, à travers les allées désertes et éclairées par la fin de l'après-midi. La nature est magnifique, et le charme quoique morbide de la place ajoute à l'instant un sentiment de sérénité. Bien que nous nous amusions des noms inscrits sur les plaques commémoratives (la Jeunesse est morte!), le lieu nous touche.
Nous sortons du cimetière, le jour décline à grande vitesse. Nous entreprenons l'ascension du Mont Royal. C'est une occasion pour parler, en marchant, de beaucoup de choses. La vue qui nous attend sur le belvédère est splendide, et nous arrivons un peu après le coucher du soleil au point qui domine la ville de Montréal. Le paysage est à couper le souffle, et là encore la lumière nous aide beaucoup à profiter de l'image qui s'offre à nous. Nous continuons ensuite, pensant redescendre en ville. Mauvaise intuition, nous empruntons un chemin qui nous ramène sur notre point de départ. Cela nous permet néanmoins de voir la grande croix qui surplombe le Mont Royal de plus près.
Il est prêt de 20h30 quand nous arrivons chez Sébastien. Le temps de se poser, nous partons ensuite à la recherche d'un restaurant sympa. Nous tombons sur une crèperie, assez simple et sans prétention bretonne quelconque, dans laquelle nous goutons au cidre roux. Puis, après nous être restaurés, un verre s'impose: un demi de bière aromatisée à l'hibiscus pour Seb, une rousse corsée et maltée pour moi. Nous nous rappellons des souvenirs, on rit. La soirée est légère, et rien n'est à ajouter.
Le lendemain, je quitte Sébastien un peu avant midi. Nous venons de passer près de 24 heures ensemble, et je sors de chez lui content. Avant de partir, je le prends dans mes bras. Seb est la première personne que je retrouve ici, et que je connaissais bien avant mon départ. C'est un lien direct avec ma vie en France. Qu'il est bon de le voir, et de partager ces moments simples, chose que nous n'avons pas fait ensemble depuis longtemps. C'est aussi la première fois que j'enlace quelqu'un depuis le 20 Août. Même si cela ne dure que trois secondes, je savoure cet instant d'affection. J'ai retrouvé dans ses propos de la veille les mêmes craintes et les mêmes attentes que moi. Pour la première fois, je ne suis pas tout seul, et quelqu'un, qui me connait bien, me comprend. C'est la fugacité de cette étreinte entre deux vieux amis qui scelle notre rencontre à Montréal. Nous nous reverrons, c'est fort probable. Bonne journée. A bientôt.
Trêve de plaisanterie, je suis un peu en retard! Je fonce prendre le métro direction Champ de Mars, près du Vieux-Montréal, pour retrouver Servane, une autre Française que je connaissais avant le départ. Nous ne nous sommes vus que le temps d'un weekend, il y a quelques mois, mais son visage fait plaisir à voir. Elle aussi étudie la littérature, mais à l'Université de Montréal. Vite, nous prenons le chemin du Vieux Montréal et du Vieux Port. Après quelques minutes passées à admirer la vue, nous abordons l'idée de nous restaurer. Routard en main, nous nous rendons prêt du Square Victoria pour manger dans un restaurant réputé de la smoking meat, spécialité montréalaise. Résultat en image!
Après nous être régalés (hum hum), nous nous redirigeons dans le Vieux-Montréal. A vrai dire, inutile de décrire chaque photo; à noter, la jolie polychromie du palais des Congrès. Néanmoins, la basilique Notre-Dame mérite une explication. Sous ses airs austères se cache le comble du kitch néo-gothique français. Après avoir payé 5 CA$ l'entrée, nous visitons ladite basilique (qui servit de cadre à la cérémonie du mariage entre Céline et René, soit dit en passant). Construit au XIXème siècle, cet édifice catholique s'inspire très librement de la Sainte Chapelle à Paris. Servane et moi sommes sous le choc.
Nous nous avançons sur le Vieux Port. La vue sur les grattes-ciel du centre ville est tout autre que celle de la veille. Mais ce qui frappe le plus, ce sont les couleurs. Il fait beau comme jamais, et dans ma tête, je médite les vers d'Aragon. "Un temps à rire, un temps à courir, un temps à mourir".
Il est très vite temps pour moi de partir. A 19 heures, Sherwin, un garçon, me ramènera à Québec. J'embrasse Servane, que j'invite à venir me rendre visite dans la Capitale. Puis, un dernier café à la main, je quitte le centre-ville pour la station Longueil. 19 heures, je suis dans la voiture. Arrivée à Québec à 21 heures (notre conducteur, d'origine asiatique, s'est laissé aller à quelques excès de vitesse!). Dans la voiture, je suis à côté de Sherwin. Je suis bercé par le moteur et les lumières de l'autoroute. Fatigué par ces trois jours, je repense à tout ce que je viens de voir.
Difficile de conclure. J'ai aimé Montréal. Non. J'ai adoré. Je ne saurai pas trop dire pourquoi. Peut-être ce patchwork qu'est la ville. Sans doute le temps et la couleur des arbres auront-ils aidé. Les personnes que j'ai (re)trouvées, forcément. Quand retournerai-je à Montréal? Et si j'y retourne, encore... Je relis les feuilles gribouillées, et me rends compte de l'extrême diversité des choses qui y sont écrites. J'ai des sensations bizarres, et contradictoires. Je regarde l'heure. Il est une heure du matin. Et dans quelques heures je devrai présenter Hervé Guibert, qui me tient tant à coeur, à des étudiants québécois. Mais je suis encore à Montréal, dans ses avenues colorées et animées. Je suis quelque part sur l'île Sainte Hélène, à contempler les sculptures d'acier. Je suis encore sur le Mont Royal, à admirer les rues qui se prolongent derrière les buildings. Je suis surtout quelque part dans ce cimetière, à capter la lumière qui éclabousse sur les tombes. Comme si je m'étais oublié le temps de trois jours et que j'avais oublié de reprendre mon ombre avant de retrouver la ville de Québec.
Mais enfin il faut cesser ce babillage, et aller dormir! Bonne lecture.
Hého ! Rappelle-toi, petit arrogant, que LA Capitale, c'est Ottawa ! Tu es bien vite devenu Québécocentré... ;-) Très bel article, touchant et tentant... Je ne connais Montréal que sous la neige, j'espère y faire bientôt un tour tant qu'il ne fait pas encore trop froid. Je t'attends de pied ferme dans deux semaines !
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